RECHERCHE

                                                                                                                                                                            

Les grands courants de la recherche de pointe

par François Lalonde

Plus active que jamais, la recherche actuelle en mathématiques s'intéresse à plusieurs grands problèmes qui passionnent les mathématiciens depuis des siècles et qui sont loin d'être complètement résolus

Des solutions aux multiples retombées

Les nombres : un champ passionnant de recherche

L'auteur

Directeur de l'Institut des sciences mathématiques (ISM) qui regroupe les quatre universités montréalaises ainsi que celle de Sherbrooke et l'Université Laval, François Lalonde est professeur titulaire à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Il dirige également le Centre interuniversitaire de recherches en géométrie différentielle et en topologie.

Des solutions aux multiples retombées

Prenons le cas du problème de la classification des équations polynomiales et de leurs solutions. Les équations polynomiales sont des équations où n'apparaissent pas de calcul différentiel, mais uniquement des sommes et des produits de variables - les inconnues - et de paramètres - des  quantités connues. La fameuse règle de trois en est l'exemple le plus répandu. Ces équations sont constamment utilisées en économie et en recherche opérationnelle lorsque l'on est en présence d'un grand nombre de contraintes et que l'on essaie de résoudre plusieurs problèmes en même temps. Cette question, qui remonte au XVIIe siècle quand Descartes en a clairement établi le contexte, constitue encore, trois siècles plus tard, un des grands défis de la recherche. C'est l'objet de toute une branche des mathématiques, la géométrie algébrique. Mais pourquoi vouloir résoudre le problème de la classification ? C'est que si l'on trouve des solutions générales qui peuvent s'appliquer à une multitude de problèmes, on pourra y recourir avec succès dans la conception de plusieurs logiciels d'optimisation.

Un autre exemple, où la difficulté est encore plus grande, nous est fourni par les équations différentielles (ou « équations aux dérivées partielles ») à une ou plusieurs variables, dont les solutions ont un comportement qui nous est encore très largement inconnu. Nous n'en connaissons pour ainsi dire que la pointe de l'iceberg. Presque toute la physique théorique s'exprime à l'aide d'équations différentielles, de l'infiniment petit (équation de Schrodinger en mécanique quantique) à l'infiniment grand (équation d'Einstein en relativité générale). Mais la physique n'est pas une exception : tous les phénomènes qui suivent une loi générale et rationnelle mettant en relation de façon quantifiable les principaux paramètres de leur comportement peuvent être décrits à l'aide d'équations différentielles. On peut sans aucun doute considérer l'étude des équations différentielles comme l'une des plus grandes entreprises intellectuelles de l'humanité. Les théories du chaos (dynamique déterministe et pourtant imprévisible à long terme) et des fractales, ainsi que des questions passionnantes comme celle de la stabilité du système solaire, y sont directement reliées.

Lorsqu'on cherche à formuler ou solutionner les lois fondamentales d'un phénomène (comme par exemple les équations d'Einstein en relativité générale, qui gouvernent le mouvement des planètes), il faut avoir à l'esprit que la dynamique générale d'un objet est conditionnée à la fois par des propriétés locales de l'espace (comme la densité d'énergie présente) et par la forme générale de l'espace. La première question est l'objet de la géométrie différentielle, la seconde celle de la topologie, deux des branches qui ont le plus marqué l'évolution des idées scientifiques au XXe siècle parce qu'elles nous ont appris à « mathématiser » les problèmes subtils du comportement qualitatif des phénomènes. Une des questions qui intéressent actuellement les mathématiciens est le rapport entre la topologie générale d'un espace (de dimension arbitraire) et la dynamique qualitative des phénomènes qui peuvent y prendre place.

Les nombres : un champ passionnant de recherche

La théorie des nombres - que l'on étudie selon la somme (addition) et le produit (multiplication) - est un domaine en plein développement. Les nombres entiers naturels, 0, 1, 2, 3..., constituent l'ensemble infini le plus simple que l'on puisse imaginer : il est engendré par l'addition successive d'une unité. L'addition est donc présente dans sa définition même. Et pourtant, si on lui ajoute simplement la multiplication, il forme déjà un système mathématique assez complexe pour poser des difficultés qui défient l'imagination. C'est le cas par exemple de la répartition des nombres premiers — c'est-à-dire les nombres entiers qui ne sont divisibles que par l'unité et par eux-mêmes : si on associe à chaque nombre entier naturel « n » le nombre total de nombres premiers qui sont compris entre « 1 » et « n », on obtient ainsi une fonction qui croît avec « n Š, dont on aimerait connaître précisément le type de croissance (à défaut d'en obtenir une expression exacte, ce qui n'est pas possible). La solution de ce problème - en apparence aussi simple que le fameux « dernier théorème de Fermat » - n'est toujours pas connue, mais on a trouvé qu'elle est reliée à des questions passionnantes en physique quantique ! Les découvertes récentes montrent que la théorie des nombres entretient des rapports plus profonds qu'on ne le croyait›avec les autres branches des mathématiques. Elle joue également un rôle clé en cryptographie, indispensable à la transmission confidentielle des données.

Mais il y a une autre raison, plus pratique, qui explique pourquoi les mathématiques ont pris une si grande place aujourd'hui. Avec le développement de l'informatique, on a les moyens de modéliser une gamme impressionnante de phénomènes réels, du moins tous ceux dont on connaît les lois fondamentales. On peut ainsi suivre sur ordinateur l'évolution du phénomène tel que modélisé mathématiquement, et en changer les paramètres à volonté. Dans certains cas, par exemple quand il s'agit de rechercher la forme optimale d'une aile d'avion ou d'une turbine, il faut simuler un phénomène hydrodynamique (le mouvement de fluides ou de gaz) dont les équations sont extrêmement compliquées. Même avec des ordinateurs d'une très grande puissance, la résolution de certains problèmes de ce genre pourrait prendre... des siècles ! Il faut simuler un phénomène hydrodynamique (le mouvement de fluides ou de gaz) dont les équations sont extrêmement compliquées. La théorie mathématique qui entre alors en jeu est l'optimisation combinatoire. Dans tous ces cas, la rapidité des ordinateurs est loin d'être suffisante et, pour obtenir des résultats fiables et significatifs, il faut de puissantes théories mathématiques qui sont à l'oeuvre dans la conception des logiciels de simulation, d'optimisation, ou d'imagerie.

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