cliché Yves Couder

Les nombres dans la nature

Pourquoi le nombre de pétales des fleurs est-il souvent un des nombres suivants: 3, 5, 8, 13, 21, 34 ou 55? Par exemple, les lis ont 3 pétales, les boutons d'or en ont 5, les chicorées en ont 21, les marguerites ont souvent 34 ou 55 pétales, etc. Par ailleurs, lorsqu'on observe le coeur des tournesols on remarque deux séries de courbes, une enroulée dans un sens et une dans l'autre; le nombre de spirales n'étant pas le même dans chaque sens. Pourquoi le nombre de spirales est-il en général soit 21 et 34, soit 34 et 55, soit 55 et 89, ou soit 89 et 144? Pareillement pour les pommes de pin: pourquoi ont-elles soit 8 spirales d'un côté et 13 de l'autre, soit 5 spirales d'un côté et 8 de l'autre? Et finalement, pourquoi le nombre de diagonales d'un ananas est-il aussi 8 dans une direction et 13 dans l'autre?

Ces nombres sont-ils le fruit du hasard? Non! Ils font tous partie de la suite de Fibonacci: 1,2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144, etc (où chaque nombre s'obtient à partir de la somme des deux précédents). Depuis longtemps on avait remarqué que ces nombres étaient importants dans la nature mais c'est seulement depuis peu qu'on comprend pourquoi. C'est une question d'efficacité dans le processus de croissance des plantes (voir ci-dessous). L'explication est reliée à un autre nombre fameux, le nombre d'or, lui-même intimement lié à la forme spirale de certains coquillages. Mentionnons aussi que dans le cas du tournesol, de l'ananas et de la pomme de pin, la correspondance avec les nombres de Fibonacci est très exacte, tandis que dans cas du nombre de pétales des fleurs elle est plutôt vérifiée en moyenne (et dans certains cas, le nombre est doublé car les pétales sont disposés sur deux étages).

Soulignons aussi que bien que Fibonacci ait historiquement introduit ses nombres (en 1202) en tentant de modéliser la croissance des populations de lapins, cela ne correspond pas du tout à la réalité! Par contre, comme on le vient de le voir, ses nombres jouent véritablement un rôle fondamental dans le contexte de la croissance des plantes.

L'efficacité du nombre d'or

L'explication qui suit est très succincte. Pour une explication beaucoup plus détaillée avec des animations très intéressantes, voir le site web donné en référence.

 

Dans beaucoup de cas, la tête des fleurs est constituée de petites graines qui sont produites au centre puis se déplacent vers l'extérieur pour remplir éventuellement tout l'espace (comme pour le tournesol mais en beaucoup plus petit). Chaque nouvelle graine apparaît à un certain angle par rapport à la précédente. Par exemple, si l'angle est 90 degrés, c'est-à-dire 1/4 de tour, le résultat après plusieurs générations est celui représenté à la figure 1. Ce qui n'est évidemment pas la façon la plus efficace de remplir l'espace! En fait, si l'angle entre l'apparition de chaque graine est une portion de tour qui correspond à une fraction simple, 1/3, 1/4, 3/4, 2/5, 3/7, etc (c'est-à-dire un nombre rationnel simple), on obtient toujours une série de lignes droites. Si l'on veut éviter ce schéma rectiligne, il faut choisir une portion de cercle qui est un nombre irrationnel (ou une fraction non simple). Si ce dernier est bien approximé par une fraction simple, on obtient une série de lignes courbes (des bras spiraux) qui ne remplissent pas encore parfaitement l'espace (figure 2). Pour optimiser le remplissage, il faut choisir le nombre le plus irrationnel qui soit, c'est-à-dire le moins bien approximé par une fraction. Ce nombre est justement le nombre d'or. L'angle correspondant (l'angle d'or) est de 137,5 degrés. (Il est obtenu en multipliant la partie non-entière du nombre d'or par 360 degrés et, puisqu'on obtient un angle plus grand que 180 degrés, en prenant son complément.) Avec cet angle, on obtient le remplissage optimal, c'est-à-dire avec le même espacement entre toutes les graines (figure 3). Cet angle doit être choisi très précisément: des variations de 1/10 de degré détruisent complètement l'optimisation! (L'angle de la fig 2 est de 137,6 degrés!) Lorsque l'angle est exactement l'angle d'or, et seulement celui-là, deux familles de spirales (une dans chaque direction) sont alors apparentes: leurs nombres correspondent au numérateur et au dénominateur d'une des fractions qui approximent le nombre d'or: 2/3, 3/5, 5/8, 8/13, 13/21, etc. Ces nombres sont précisément ceux de la suite de Fibonacci (plus les nombres sont grands, plus l'approximation est bonne) et le choix de la fraction dépend du délai entre l'apparition de chacune des graines au centre de la fleur. Voilà pourquoi le nombre de spirales dans le coeur des tournesols, et dans le coeur des fleurs en général, correspond à un nombre de Fibonacci. De plus, généralement les pétales des fleurs se forment à l'extrémité d'une des familles de spirale. Voilà donc aussi pourquoi le nombre de pétales correspond en moyenne à un nombre de Fibonacci.

Stéphane Durand

Références:

S. Douady et Y. Couder, La physique des spirales végétales, La Recherche, janvier 1993, p. 26

Site Web: http://www.mcs.surrey.ac.uk/Personal/R.Knott/Fibonacci/fibnat2.html