SANTÉ

                                                                                     

 

Mathématiciens du
coeur

par Félix Légaré

La santé par les mathématiques ?
Des chercheurs démontrent que rien ne peut résister à une belle équation !

 

 

 

 

 



 

 


 

 

 

Pour en savoir plus

Kevin Hall, David J. Christini, Maurice Tremblay, James J. Collins, Leon Glass, Jacques Billette, « Dynamic Control of Cardiac Alternans », Physical Review Letters, vol. 78, no 23, 9 juin 1997.

Depuis une vingtaine d'années, Leon Glass, mathématicien au département de physiologie de l'Université McGill, s'emploie à jeter des ponts entre les hautes sphères des mathématiques du chaos et les réalités concrètes de la médecine. Grâce à sa maîtrise de la dynamique non linéaire (une branche des mathématiques utile notamment pour l'étude des phénomènes chaotiques), il vient peut-être de mettre à jour les mécanismes fondamentaux de dérèglements cardiaques comme l'arythmie.

Récemment, son équipe publiait les résultats d'une expérience durant laquelle on est parvenu, pour la première fois, à supprimer une arythmie cardiaque provoquée artificiellement dans les cellules d'un cœur de lapin. Avec la complicité de Kevin Hall, l'un de ses étudiants, et de Jacques Billette, du département de physiologie de l'Université de Montréal, il a réalisé cet exploit à l'aide d'un stimulateur cardiaque modifié qui pourrait éventuellement être commercialisé et sauver des vies.

L'équation maîtresse de ses travaux, qu'il est impossible de résumer ici, permet d'interpréter mathématiquement différents types d'arythmie. Dans un coeur, il y a une communication constante entre l'atrium (le haut du coeur) et les ventricules, explique Jacques Billette, le responsable du volet médical. Un conduit, situé entre les deux, produit un délai entre chaque impulsion électrique provoquant la contraction du coeur : c'est le rythme cardiaque. « Plus on les étudie avec précision, dit-il, et plus on s'aperçoit que ces échanges peuvent, dans des situations particulières, générer des types de signaux beaucoup plus complexes qu'on ne l'avait cru jusqu'à maintenant. »

Grâce à la dynamique non linéaire, on a pu concevoir un programme d'ordinateur qui interprète les signaux chaotiques provoquant l'arythmie et qui renvoie au cœur un message qui le remet au pas. Le programme est inséré dans un micro-ordinateur couplé à un stimulateur cardiaque modifié qui, lui, se charge de détecter les impulsions et d'émettre les signaux correcteurs.

Cependant, précise Jacques Billette, cette expérience ne corrigeait qu'un type assez innoffensif d'arythmie.
« Il fallait d'abord démontrer l'efficacité de notre hypothèse avec un modèle simple et facile à contrôler avant de s'attaquer à des désordres plus graves et plus complexes, comme la fibrillation, qui est encore assez mal comprise.»

Les défibrillateurs actuels peuvent sauver des vies, mais ils n'agissent qu'au moment où le danger menace et que le patient a perdu conscience (c'est ce qui s'est produit au gala des Gémeaux en 1997 lorsque le réalisateur Richard Martin s'est effondré devant les spectateurs). L'équipe de Leon Glass croit qu'il sera possible d'interpréter certains signaux bien avant une défaillance. Un dispositif pourrait alors agir plus tôt et plus vite.

Cette découverte permettrait aussi de perfectionner les stimulateurs cardiaques actuels. Le problème de cet appareil, souligne Leon Glass, c'est que ses paramètres sont réglés au moment où on l'implante dans le corps d'une personne. Ils tiennent compte de l'état de santé du patient à ce moment-là. Si, avec le temps, son état se modifie, il faut tout recommencer. « Les algorithmes que nous avons mis au point peuvent s'adapter à un grand nombre de variables : on pourrait donc implanter une seule fois un stimulateur cardiaque qui s'ajusterait ensuite automatiquement aux changements du corps. »

Une fois les tests terminés, on pourra facilement glisser le nouveau programme sous le capot d'un stimulateur cardiaque puisqu'il convient à une technologie déjà existante. On envisage même de déborder le champ des désordres cardiaques : Leon Glass s'attaque déjà, en collaboration avec des chercheurs américains, à la conception de mécanismes de contrôle des crises d'épilepsie.

« En fait, on pourrait étendre les travaux à de nombreuses parties du corps, dont les tissus nerveux, conclut-il. Mais pour que les choses évoluent plus vite, il faudra faire plus de recherches et travailler de concert avec des équipes multidisciplinaires de mathématiciens et de médecins. » Une rencontre qui ne survient cependant que trop rarement, déplore-t-il.

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