MÉTÉOROLOGIE  

                                                                                                 

Les mathématiques
du
temps


par Michel Béland
L'un des objectifs de la météorologie est de prédire de la façon la plus précise possible le temps qu'il fera à plus ou moins long terme. Les mathématiques ont servi à développer des solutions tout à fait uniques pour tenter d'y parvenir.


L'auteur

Michel Béland,
directeur général des sciences de l'atmosphère et du climat au Service météorologique du Canada à Dorval.

 

L'origine du nom de la météorologie vient de la Grèce antique. Le mot meteor signifiait des particules en suspension dans l'atmosphère; la météorologie s'est donc donné l'objectif d'étudier ces mêmes particules. À l'origine purement descriptive, la météorologie est rapidement devenue un lieu d'application de la physique, de la chimie et des mathématiques.

En fait, à cause de la visibilité et de l'importance des phénomènes qu'elle décrit, elle en vint rapidement à susciter l'intérêt des plus grands scientifiques. Le premier mathématicien célèbre à s'intéresser à ce problème fut von Neumann dans les années 50. On lui doit la première formulation des équations météorologiques pouvant être intégrées aux superordinateurs de l'époque. Depuis lors, les techniques n'ont cessé de se développer et de se raffiner, en particulier grâce aux contributions du mathématicien québécois André Robert, des universités Laval et McGill.

De plus, aux techniques de prévision proprement dites, il faut ajouter celles que nécessitent les études de turbulence atmosphérique (un problème non encore résolu), et le problème associé de sa prévisibilité. En effet, même les formes les plus simplifiées des équations météorologiques peuvent mener à des formes chaotiques de l'écoulement; ce phénomène fut pressenti par des mathématiciens comme Poincaré et Kolmogorov (1954). La démonstration de ce que l'on appelle maintenant l'effet papillon fut le fruit du travail du grand météorologue Edward Lorenz, au MIT dans les années 70. Cela signifie que la plus petite erreur d'observation ou de modélisation peut dans certaines conditions s'amplifier exponentiellement et rendre toute prévision impossible après un certain temps, ce qui est caractéristique d'un écoulement chaotique.

Au fur et à mesure que se sont raffinés les modèles de prévision, on s'est rendu compte de l'importance cruciale de la spécification de l'état initial dans les trois dimensions de l'atmosphère. En effet, à chaque instant, des milliers, sinon des millions d'observations provenant de partout dans le monde (bateaux, avions, radiosondages, plates-formes dérivantes à la surface des océans, stations de surface, etc.) et de l'espace (satellites sondant le rayonnement émis par l'atmosphère dans une gamme étendue de longueurs d'onde) sont colligées et analysées afin d'obtenir la description la plus exacte possible de l'état de l'atmosphère à un instant donné. Ces observations doivent ensuite être reportées sur la grille de solution des modèles.

Les mathématiciens de premier plan, comme Lyons, se sont penchés sur ce problème, et on a vu récemment naître des nouvelles techniques très sophistiquées. Ces techniques permettent de tenir compte de la structure de l'écoulement atmosphérique duquel sont issues les observations et, plus encore, de l'évolution récente dans le temps de ce même écoulement. Cela permet de diminuer considérablement l'erreur d'estimation de l'état initial de l'atmosphère, et donc d'augmenter la durée de validité de la prévision subséquente.

La complexité des équations, et surtout la taille du problème (des millions de degrés de liberté), nécessitent l'utilisation des plus puissants ordinateurs sur le marché, bien que, encore aujourd'hui, la précision des prévisions est encore limitée par la puissance insuffisante des machines. Ici au Québec, nous avons la chance d'avoir l'une des meilleures équipes de chercheurs au monde dans ce domaine. À partir du Centre météorologique canadien situé à Dorval, en banlieue de Montréal, l'équipe travaille avec des ordinateurs extrêmement puissants, soit des NEC SX-4 et 5, comptant bientôt 128 processeurs, capables de faire 256 milliards d'opérations par seconde ! En moyenne, cette puissance double tous les deux ou trois ans. Et malgré tout, il faut encore 40 minutes pour réaliser une prévision de 48 heures sur une maille de 16 kilomètres sur l'Amérique du Nord. D'ici 10 Ins, on vise à pouvoir faire des prévisions globales sur des mailles de 5 kilomètres. Cela donne une idée de l'ampleur et de la complexité de la tâche.

Les mathématiciens doivent donc être en mesure de concevoir et de développer des algorithmes de plus en plus efficaces pour solutionner les équations météorologiques. Les chercheurs du Centre météorologique canadien ont été responsables d'environ 50 æ de l'accélération des calculs pour une prévision, soit une contribution presque aussi importante que celle apportée par l'augmentation de puissance des ordinateurs eux-mêmes. Comme quoi cela paie d'investir dans la matière grise !

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