INFOGRAPHIE

Les mathématiques
derrière l'image

par Pierre Poulin

En un quart de siècle, l'infographie est passée d'un petit nombre d'applications amusantes aux coûts excessifs, à un phénomène omniprésent dans notre quotidien. Cependant, derrière les personnages de jeux vidéo ou les dinosaures de Jurassic Park, se cache toute une panoplie de concepts mathématiques.

L'auteur
Pierre Poulin est professeur au département d'informatique et recherche opérationnelle (IRO) de l'Université de Montréal.

L'étude de ces concepts, dans le but d'élaborer des univers virtuels, peut même nous permettre de mieux comprendre la réalité - la vraie. L'infographie fut d'abord confinée à des domaines très spécifiques comme les simulateurs de vol. Mais les chercheurs ont rapidement perçu le vaste potentiel de cet outil. Aujourd'hui, grâce à la démocratisation de l'informatique et à l'augmentation phénoménale de la puissance des ordinateurs, l'infographie a peu à peu pénétré plusieurs sphères de l'activité humaine. Elle apparaît désormais en informatique, grâce aux interfaces usagers (icônes, fenêtres, etc.), en médecine et en science, où les données et les modèles sont plus faciles à comprendre lorsqu'ils sont visualisés sous forme d'images. L'infographie est aussi couramment mise à contribution dans les jeux par ordinateur, ainsi que pour les effets spéciaux au cinéma et dans les publicités télévisées, où la réalité se marie à la fiction au gré de l'imagination des auteurs.

L'infographie représente beaucoup plus qu'une simple extension informatique du pinceau du peintre. L'artiste manipule des points, des courbes et des surfaces pour créer des objets synthétiques. Il leur assigne des couleurs, des textures et des réflectivités. Il dispose des sources de lumière, oriente la camèra virtuelle et clic ! voilà une image. Chaque objet peut ensuite être déplacé et déformé temporellement pour créer une séquence animée.

Pour l'artiste, l'adepte de jeux ou le cinéphile, tout semble magique. Les outils disparaissent sous la complexité visuelle des scènes, la fluidité des mouvements et la réalité des émotions des personnages. Mais modéliser un univers synthétique requiert une représentation mathématique de chacun de ses éléments. Ces outils informatiques reposent en effet sur un large éventail de concepts mathématiques.

Ainsi, la caméra se transforme en un espace projectif à quatre dimensions; les objets sont formés de polygones ou de surfaces polynomiales; les échanges de lumière entre surfaces sont résolus à partir de systèmes d'équations intègrales simultanées; les mouvements des objets et des personnages résultent de solutions d'équations partielles différentielles, et ainsi de suite.

Souvent, pour rendre les mouvements plus réalistes, l'informaticien doit décomposer les objets apparemment complexes en éléments simples, plus facilement manipulables. Ainsi, une fonction fractale donne naissance à une montagne, une vague déferle selon le roulement de centaines de cercles, une robe ondule sous l'action d'un ensemble de masses-ressorts, un banc de poissons devient un ensemble de particules réagissant à des comportements simples, etc. La manipulation de ces modèles plutôt que de chaque élément individuel permet une interaction plus réaliste avec le reste de l'univers virtuel.

À chaque instant, un artiste doit pouvoir tout contrôler en modifiant n'importe quel point de sa scène ou couleur de son image. Cependant, plus l'infographie lui évite de spécifier chaque petit détail, plus l'artiste est libre de créer son univers à un niveau plus abstrait, et plus les modèles mathématiques sous-jacents deviennent prépondérants et intrigants. Par conséquent, le chercheur est forcé de questionner sa conception de la réalité et des modèles qui pourraient la reproduire. Ce questionnement peut mener loin : en voulant reproduire les phénomènes physiques, le chercheur doit les étudier pour tenter d'en dégager les lois et les principes. Ainsi, par un détour parfois surprenant, la recherche d'un réalisme dans les univers virtuels nous aide souvent à mieux comprendre notre propre monde.

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