ENSEIGNEMENT
                                                                                                                                                         
délices ou terreur?
par Vincent Sicotte
Certains élèves brillent en français, d'autres récitent leur géographie avec une facilité déconcertante. Mais qui a jamais parlé d'une bosse du français ou de la géographie ? La prétendue « bosse des maths », si souvent invoquée pour répartir les élèves selon leurs aptitudes mathématiques, ne serait-elle qu'un mythe ? Mais dans ce cas comment expliquer, chez certains, un blocage - si ce n'est une terreur - devant les mathématiques ? Un bon enseignement peut-il changer la mauvaise réputation des maths ?
Les intervenants

Richard Pallascio est professeur au département de mathématiques de l'UQAM et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche sur 'apprentissage et le développement en éducation (CIRADE). En plus d'enseigner les maths et la didactique des maths aux futurs maîtres, il fait de la recherche sur la pensée réflexive en maths, qui vise à développer, chez les élèves, la pensée critique, la capacité de questionnement et d'argumentation.

Bernard Hodgson est professeur au département de mathématiques et de statistique à l'Université Laval. Il s'intéresse en particulier à la logique mathématique, qui a des applications notamment en informatique théorique. Il forme également des futurs enseignants du primaire et du secondaire.

Christiane Rousseau

Pour en savoir plus

www.meq.gouv.qc.ca/sanction
/pirs/Rappqc.pdf

« On doit montrer aux élèves que les mathématiques sont une construction humaine », explique Richard Pallascio, professeur de maths à l'UQAM. On ne doit pas faire apprendre les maths par coeur, poursuit-il, car cet apprentissage en fait un objet étranger à soi. L'élève devrait idéalement suivre le même chemin qui a mené au développement des mathématiques. « Il faut ancrer les maths dans la réalité, montrer qu'elles servent à quelque chose dans la vie de tous les jours », ajoute-t-il.

La résolution de problème

Vers 1980, l'approche didactique conventionnelle, héritée du cours classique, a fait place à l'apprentissage par résolution de problème. L 'ordre habituel de l'enseignement — d'abord la notion, ensuite son application —, a simplement été inversé », explique Richard Pallascio. Il s'agit de mettre tout d'abord les élèves en situation, pour qu'ils trouvent eux-mêmes les outils mathématiques les plus appropriés au problème. Au lieu de faire apprendre de mémoire les tables de multiplication, on posera par exemple la question suivante : un groupe de 120 élèves doit se rendre à une journée de ski. Combien d'autobus seront nécessaires, sachant qu'un autobus contient 48 places ?

Dès septembre 2000, on poussera cette démarche encore plus loin pour les premières années du primaire. Conséquence directe des derniers états généraux sur l'éducation, ce programme préliminaire s'appuie sur la résolution de problème encore plus large (des « situations »), en faisant appel à des compétences transversales, pas nécessairement mathématiques. « L'esprit critique et la créativité sont encore plus sollicités », précise Richard Pallascio.

Mais peut-on « vendre » toutes les maths grâce à des applications ? « Je l'imagine mal », répond Bernard Hodgson, professeur de mathématiques à l'Université Laval. « Certains domaines des maths ont une beauté en soi et peuvent exercer une fascination en tant qu'abstraction pure. »

La technologie

L'autre changement important pour l'apprentissage des maths concerne l'utilisation croissante d'ordinateurs et de calculatrices en tous genres. « Ces outils permettent une relation plus concrète avec les maths », dit Bernard Hodgson. Visualiser une fonction sur un écran ou manipuler des symboles permettrait, selon lui, le développement d'une sorte d'intuition géométrique.

Mais la calculatrice ne nuit-elle pas aux capacités mentales ? « La technologie n'est pas une panacée", s'empresse-t-il d'ajouter. Les élèves doivent développer selon lui une « intuition numérique », qui est essentielle dans la vie quotidienne. Il faut savoir, par exemple, calculer des ordres de grandeur, puis utiliser la calculatrice pour obtenir les résultats exacts. Il s'agit donc d'atteindre un certain équilibre dans l'utilisation de la technologie. Est-ce possible ? « Je le crois. Depuis 25 ans d'utilisation de la calculatrice à 'école, on a appris quand il faut la mettre de côté » , conclut-il.

Somme toute, l'enseignement des maths au Québec serait sur la bonne voie. En avril 1997, une évaluation pancanadienne des acquis en mathématiques a eu lieu auprès des élèves. Deux groupes d'élèves de 13 et 16 ans ont été évalués pour leur connaissance des contenus mathématiques et leur aptitude à la résolution de problème. Résultat : au Canada, ce sont les élèves québécois qui réussissent le mieux en mathématiques. Cette étude, ajoutée à une enquête internationale récente sur les mathématiques et les sciences (pour les élèves de 13 ans), démontre que les jeunes Québécois se comparent avantageusement au reste du Canada, et au monde entier, quant à leur maîtrise des mathématiques.

Les maths et la langue

En général, la 16e année marque la fin de l'école obligatoire. Ceux qui continuent au cégep le font par choix. Que vaut 'enseignement des maths à ce niveau ? « Le niveau des étudiants, lorsqu'ils sortent des cégeps, est malheureusement insuffisant », dit Christiane Rousseau, professeure de mathématiques à l'Université de Montréal. L'obsession du taux de réussite aurait fait perdre de vue le niveau global des étudiants, qui, selon elle, a baissé depuis l'ouverture des cégeps. D'ailleurs, « l'Université de Montréal a décider d'ajouter un cours de maths intermédiaire pour mieux accueillir les étudiants.»

Elle relie cette baisse du niveau mathématique à la détérioration générale du français. « La pensée en maths est liée à la langue », dit-elle. Elle déplore qu'on n'enseigne plus à manipuler des structures, qu'elles soient linguistiques ou mathématiques. Bernard Hodgson, qui enseigne à de futurs professeurs, pose un diagnostic similaire. « Sans crier au scandale, il est vrai que l'usage de la langue est problématique », dit-il. Une partie des difficultés des étudiants, en mathématiques, viendrait justement de leur compréhension imparfaite des questions. « L'usage de la langue est fondamental en mathématiques. Pour les futurs professeurs bien sûr, mais également pour les simples bacheliers en maths. »

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