ENCHÈRES 

  
                                                                                  

Qui dit

mieux?

par Jacques Robert

Une vente aux enchères semble être le genre d'activité entièrement soumise aux caprices des acheteurs et à la force de leurs désirs. On croirait que ces caractéristiques bien humaines échappent tout à fait à la rigueur mathématique d'une théorie.

L'auteur

Jacques Robert est professeur au département de sciences économiques de l'Université de Montréal, et directeur de recherche au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Pour en savoir plus

L'Équipe de recherche en enchères électroniques, sur le site

www.cirano.umontreal.ca

Pourtant, la théorie des jeux permet de formaliser le mécanisme des enchères, et même de prendre l'intuition en défaut. Pour la plupart des gens, la vente aux enchères classique, dite à l'anglaise ou à la criée, évoque un groupe de personnes réunies devant un encanteur, offrant des prix de plus en plus élevés pour un bien qui sera vendu au dernier enchérisseur. Or il existe de nombreux autres types d'enchères. Interprété dans son sens large, le terme « enchère » désigne tout mécanisme structuré de concurrence visant à déterminer qui obtient l'article en jeu, et à quel prix.

Dans ce sens, une grande partie des transactions dans nos économies se fait par l'intermédiaire d'enchères - appels d'offres publics ou privés, adjudications des bons du trésor, vente de droits d'exploitation, produits agricoles, etc. Si l'on inclut les mécanismes d'enchères doubles (où les deux côtés du marché sont en concurrence), tous les marchés boursiers deviennent du coup désignés par ce terme. Vu l'importance du phénomène, les économistes ont cherché à développer une théorie mathématique des enchères.

Maximiser le gain

Considérons un exemple concret : quelqu'un désire vendre un bien. Il peut organiser une enchère à la criée, classique, ou une enchère dite fermée au premier prix. Dans ce dernier cas, les participants soumettent un prix par écrit, et celui qui a soumis le prix le plus élevé l'emporte. De ces deux mécanismes d'enchères, lequel permettra au vendeur d'obtenir le prix le plus élevé ?

Essayons de répondre intuitivement à la question. Dans l'enchère à la criée, les participants sont forcés d'ouvrir leur jeu jusqu'à ce que les prix atteignent voire dépassent ce qu'ils sont prêts à payer. Dans l'enchère fermée, par contre, les participants soumettent une seule mise, qui est en général inférieure à leur propre évaluation du bien, puisqu'ils veulent aussi maximiser leur profit. On pourrait croire que l'enchère à la criée donne lieu à des prix plus élevés, mais ce n'est pas nécessairement le cas, car le prix des enchères ne monte pas nécessairement jusqu'au maximum de ce que le gagnant est prêt à payer. Le prix est plutôt fonction de ce que le deuxième plus haut miseur est prêt à payer. Comme on voit, l'intuition seule ne permet pas de trancher. Une analyse formelle du problème est nécessaire.

L'approche mathématique

La théorie des jeux permet d'étudier ce genre de problème. Développée dans les années 40 puis appliquée en économie et en politique dès les années 70, cette théorie formalise les interactions stratégiques entre agents rationnels. Une fois l'enchère décrite comme un jeu dans le cadre de cette théorie, l'analyse du comportement des participants à ce jeu devient possible. Le but est d'identifier ce qu'on appelle l'équilibre stratégique du jeu. Cet équilibre spécifie la stratégie optimale pour chaque joueur, compte tenu des stratégies des autres joueurs.

Dans l'enchère à la criée, les stratégies optimales sont simples à identifier. Chaque participant a intérêt à demeurer dans la course tant que le prix reste sous la valeur qu'il attribue au bien. Dans l'enchère au premier prix, les stratégies sont plus complexes. En offrant un prix plus élevé, les participants augmentent leurs chances de gagner. Mais s'ils gagnent, leur gain est moindre, puisqu'ils payent davantage que ce qu'ils croient être un prix juste. Cet arbitrage est complexifié par le fait que chacun doit anticiper les stratégies des autres.

Les travaux de Vickrey

On peut approcher ce genre de problème grâce aux travaux de l'économiste canadien William Vickrey, un spécialiste des finances publiques qui a beaucoup fait avancer la théorie des enchères. Dans le cas le plus simple, l'équilibre stratégique peut être obtenu en résolvant une équation. Le résultat est surprenant : les deux mécanismes d'enchères s'équivalent. La moyenne des prix gagnants est la même.

William Vickrey a reçu le prix Nobel d'économie en 1996 pour ses travaux sur la théorie des enchères. À la suite de ses travaux, d'autres chercheurs qui se sont penchés sur des cas plus complexes ont pu répondre à plusieurs questions importantes. Ces développements n'auraient pas été possibles sans les outils mathématiques de la théorie des jeux.

retour vers le haut