L'auteur
Claude Crépeau est professeur à
l'École d'informatique de l'Université McGill.
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Mais
depuis un quart de siècle, elle est de plus en plus utilisée
dans un domaine jusque-là inattendu : la cryptographie (la science
du codage secret). La théorie des nombres prend tout à coup
des airs mystérieux. Depuis les travaux novateurs de Diffie et
Hellman, puis ceux de Rivest, Shamir et Adleman, la sécurité
d'une grande partie des informations confidentielles repose sur la difficulté
légendaire de certains problèmes de la théorie des
nombres. Les plus connus de ces problèmes sont la factorisation
entière, l'extraction des racines discrètes et des logarithmes
discrets. Ces problèmes ont l'étonnante propriété
d'être plus faciles à générer qu'à résoudre.
Prenons un exemple, avec deux nombres : 3 251 et 5 939. Au bout d'une
petite minute de calcul, on peut facilement trouver leur produit : 3 251
x 5 939 = 19 307 689. Par contre, résoudre le problème inverse
(trouver deux nombres entiers tels que leur produit sera égal à
19 307 689, c'est ce qu'on appelle la factorisation) demande beaucoup,
beaucoup plus de temps.
La
cryptographie
Le système RSA (conçu dans les années
70 par Rivest, Shamir et Adleman, trois chercheurs du MIT), repose essentiellement
sur le même principe. Ce système, qui est le plus couramment utilisé
pour le chiffrement d'informations que l'on veut garder secrètes,
est d'autant plus difficile à percer que les nombres qu'il utilise
ont de 200 à 300 chiffres. Les méthodes actuelles permettent
de factoriser des nombres comptant au plus 155 chiffres. Les nombres de
plus de 200 chiffres sont totalement hors de portée des méthodes
de factorisation connues aujourd'hui. Il faudrait des millions d'années
à tous les ordinateurs du monde pour accomplir cette tâche
!
Comme l'enjeu est de taille - il en va de la sécurité
des transactions bancaires et des diverses applications commerciales de
la cryptographie - les cracks sont à l'oeuvre, qu'ils soient chercheurs
universitaires ou cyberfraudeurs. Dans ce domaine, en effet, tout progrès
technologique ou théorique avantage autant les « bons »
que les « méchants »! D'ailleurs, la National Security
Agency américaine emploierait à elle seule une véritable
armée de mathématiciens. Par conséquent, de nouveaux
records sont établis de temps en temps. Le dernier date du mois
d'août 1999, c'est le nombre RSA-155. Sa factorisation a nécessité
le travail de 300 ordinateurs personnels pendant une période de
sept mois. Soit l'équivalent de 35 ans de calcul par une seule
machine !
De
nouvelles méthodes
Les recherches sur la factorisation ont également
favorisé l'émergence de méthodes radicalement nouvelles
et tout à fait surprenantes. Il y a quelques années, l'Américain
Peter Shor a développé une méthode très simple
et très efficace pour factoriser les grands nombres ou résoudre
les deux autres problèmes déjà cités. Alors,
qu'attend-on pour l'utiliser ? C'est que cette méthode fonctionne
sur un ordinateur qui n'existe pas encore ! Il s'agit bel et bien d'une
idée révolutionnaire de dompter l'étrange nature
de la mécanique quantique afin de la mettre au profit des services
secrets. Des fonds considérables sont aujourd'hui consacrés
à la mise au point de cet « ordinateur quantique »,
supermachine pleine de promesses, mais dont la réalisation est
semée de difficultés techniques.
Si cette machine n'existe pas encore, la cryptographie
de demain est pourtant née. On étudie déjà
les problèmes difficiles qui résisteront à ce futur
ordinateur quantique. L'enjeu est de découvrir un problème
dont il est facile de générer des exemplaires, comme la
factorisation, mais dont la résolution est la plus difficile possible.
On pourrait alors générer une méthode secrète
de chiffrement virtuellement impénétrable.
La théorie des nombres, considérée
pendant des siècles comme une théorie pure, belle et élégante,
mais sans véritables applications pratiques, est donc devenue essentielle
pour les transactions financières les plus courantes, comme pour
les opérations des services secrets partout dans le monde.
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