HISTOIRE
      

                                                                                                                                            
   
350 ans
de mathématiques
au Québec
par Yves Gingras

Dans leurs aspects les plus élémentaires (arithmétique et géométrie), les mathématiques sont à la base de la mesure et des échanges. Aucune société ne peut vivre sans elles.


L'auteur

Membre du Centre interuniversitaire de recherche sur les sciences et la technologie (CIRST) et professeur
d' histoire à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Yves Gingras s'intéresse tout particulièrement à l'histoire et à la sociologie des sciences.

Pour en savoir plus

Luc Chartrand, Raymond Duchesne, Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec, Montréal, Boréal, 1987.

•Société mathématique du Canada, 1945-1995, Volume 1 : Les mathématiques au Canada, sous la direction de Peter Filmore, Ottawa, 1995

 

Une fonction essentiellement utilitaire

Le Québec ne fait pas exception. Dès les débuts de la Nouvelle-France, les relevés cartographiques exigeaient des connaissances géométriques. Alors que la colonie s'organise et qu’est créé le Collège des Jésuites en 1635, leur enseignement se met en place. C'est à Martin Boutet que revient l'honneur d'être le premier professeur de mathématiques: il enseigne « tout ce qu'il est nécessaire de s'avoir des mathématiques pour ce païs » et instruit « la plupart des capitaines qui conduisent des vaisseaux en ce païs ».

Le développement du commerce nécessite la connaissance de la règle de trois, du calcul des proportions et de l'intérêt (simple et composé). Ces méthodes seront présentées pour la première fois par un arpenteur, Jean-Antoine Bouthillier, qui publie en 1809 un Traité d'arithmétique à l'usage des écoles, qui sera réédité au moins jusqu'au milieu du XIXe siècle. On lui incorporera ultérieurement un Traité d'algèbre d'une dizaine de pages, publié en 1836 sous la plume d'un étudiant en droit, Jos Laurin. Les besoins des marchands et de la vie quotidienne ne demandaient pas de connaissances plus avancées à l'époque. Tout au long du XIXe siècle et d'une bonne partie du XXe siècle, les mathématiques feront essentiellement partie de l'enseignement général.

La parution d’un Traité élémentaire de calcul différentiel et intégral au XIXe siècle, attribué à l'abbé Langevin, professeur au Séminaire de Québec et qui deviendra le premier évêque de Rimouski, reflète probablement davantage l'intérêt personnel du professeur que le contenu réel du programme d'enseignement de l'époque. De même, la publication en 1866 par l'architecte Charles Baillargé d'un Nouveau traité de géométrie et de trigonométrie rectiligne et sphèrique de 900 pages, ne semble pas répondre davantage à une demande précise, bien qu'il soit dit à l'usage des arpenteurs, architectes, ingénieurs et professeurs. Plus original, mais toujours à visée pratique, est son tableau stéréométrique utilisé pour mesurer des volumes de forme complexe et qui obtiendra de nombreux prix et médailles dans plusieurs pays.

L'essor de la recherche

En fait, ce n'est qu’ à la fin de la Seconde Guerre mondiale que l'on assiste au développement de la recherche mathématique objective au sein des universités canadiennes et québécoises. La tenue en juin 1945 à Montréal du premier congrès canadien de mathématiques peut être vue comme l'acte de naissance de la discipline au Canada. Cet événement, auquel participèrent de grands mathématiciens comme John von Neumann, Garrett Birkhoff et Claude Chevalley, convaincra les mathématiciens canadiens de l'importance de se doter d'une voix collective. La Société mathématique du Canada qui se crée au même moment servira de porte-parole auprès des autorités afin de faire valoir l'importance des mathématiques pour la société.

Bien que les universités de Toronto - et dans une certaine mesure l'Université McGill - avaient mis en place les bases de la recherche en mathématiques avant les universités francophones, la croissance véritable de la recherche se fera au cours années 60 grâce surtout à l'impulsion de Maurice L'Abbé. Ce dernier, qui avait obtenu son doctorat à l'Université de Princeton, crée en 1962 à l'Université de Montréal le Séminaire de mathématiques supérieures, et en 1968 le Centre de recherche mathématiques (CRM). Grâce à ces initiatives, l'Université de Montréal prend le pas sur McGill et les autres universités québécoises en matière de recherche en mathématiques dès le début des années 70.

Concentrés d'abord au sein des départements, les mathématiciens essaiment, au cours des années 70, vers les départements d'informatique, à l'École des Hautes études commerciales et à l'École polytechnique de Montréal. Les développements fulgurants des capacités de calcul des ordinateurs multiplient les domaines d'application des mathématiques : à la physique viennent s'ajouter ceux de la biologie, du transport et des finances, sans parler des diverses sciences appliquées.

Aujourd'hui, les politiques de la recherche encouragent le regroupement des chercheurs. Les mathématiciens n'échappent pas à la tendance; à l'initiative du CRM, l'Institut des sciences mathématiques (ISM), qui regroupe les chercheurs des six principales universités québécoises (Concordia, Laval, McGill, Montréal, Sherbrooke et UQAM), est créé en 1991.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les mathématiques ont trouvé au Québec comme ailleurs des conditions institutionnelles favorisant des recherches fondamentales de plus en plus abstraites. Ce sont ces travaux qui, en retour, rendent aujourd'hui possibles de nouvelles applications, tant il est vrai qu'il faut d'abord se détourner du réel pour mieux l'appréhender.


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