Survol

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Le calcul et l'énumération des invariants des espaces de modules ont pris une tournure inattendue avec la conjecture de Witten selon laquelle ils pouvaient être combinés en une série formelle qui résoudrait la hiérarchie de KdV. Cette conjecture, ultérieurement démontrée par Kontsevich, a été motivée par des considérations de la gravité quantique. Elle a été suivie par une série de développements dans la même direction, notamment dans le calcul des invariants pour les espaces de Hurwitz et pour les invariants de Gromov-Witten, par exemple, par les travaux de Okounkov et Pandharipande, liant la théorie de Gromov-Witten à la hiérarchie 2-Toda. La preuve de Kontsevich prend un détour à travers la théorie des matrices aléatoires et subséquemment, Eynard et Orantin ont proposé une vaste généralisation de la technique avec une large variété d'implications. Les questions ont des motivations physiques et ont progressé avec le mélange rapide de calcul et de raisonnements heuristiques qui caractérisent la physique théorique; les mathématiciens en ont dans plusieurs cas fourni la preuve, et aussi un certaine compréhension du phénomène.

La première pièce du casse-tête est la théorie des espaces de modules. Les espaces de modules d'intérêt sont principalement associés aux courbes algébriques complexes: d'abord ce sont les espaces de modules de courbes (pointés), les espaces de modules de fonctions méromorphes sur les courbes, (les espaces de Hurwitz et espaces de revêtements admissibles) et plus généralement, les espaces de modules d'applications stables, les espaces de modules des différentielles holomorphes et méromorphes, les espaces de modules de fibrés vectoriels holomorphes sur les courbes, les modules de variétés abéliennes, etc. La machinerie des systèmes intégrables contribue souvent à faire la lumière sur les problèmes difficiles en géométrie algébrique des espaces de modules. L'accent principal sera placé sur la théorie de l'intersection des espaces de modules; la réalisation géométrique des cycles algébriques sur les espaces de modules, les relations dans l'anneau de Chow des cycles algébriques, la description récursive et explicite des nombres d'intersection sur les espaces de modules et leur comportement asymptotique de grand genre. Le paradigme des systèmes intégrables continue d'étendre son influence : un calcul explicite par van der Geer-Kouvidakis de la classe du diviseur de Hurwitz sur les espaces de modules des courbes de genre pair qui utilise une formule pour le diviseur de la fonction tau de Kokotov-Korotkin-Zograf en est un autre exemple.

Une seconde partie du casse-tête mis en lumière récemment par Eynard et Orantin réside dans la théorie des matrices aléatoires. L'interaction avec les modules possède un long historique qui remonte aux pionniers. Les figures de proue du domaine comprennent Kontsevich et aussi le groupe de Saclay de Itzykson et Zuber. Eynard-Orantin ont récemment proposé un schéma général pour l'obtention de récurrences topologiques pour les nombres d'intersection qui rassemblent tous les cas connus antérieurement – les nombres d'intersection des classes tautologiques, les nombres de Hurwitz, les volumes de Weil-Peterson et quelques autres invariants de Gromov-Witten; dans chaque cas, l'objet génèrateur est une seule courbe plane. L'élucidation du rôle universel des relations de récurrence topologique («équations de boucles») dans la théorie des espaces de modules, leurs relations avec les contraintes de Virasoro et d'autres méthodes de calcul seront un des premiers objectif de l'atelier.

Un troisième thème survient avec la théorie des variétés de Frobenius introduite autour de 1990 par Dubrovin comme une géométrisation de la cohomologie quantique prenant son origine dans l'équation d'associativité de Witten-Dijkgraaf-Verlinde-Verlinde (WDVV) provenant des théories topologiques des champs. Les variétés de Frobenius fournissent un lien utile entre les systèmes intégrables (à cause de leur relation aux déformations isomonodromiques et le problème de Riemann-Hilbert matriciel) et la géométrie. En particulier, les structures de Frobenius émergent naturellement sur des espaces de modules variés (les exemples les plus simples sont les espaces de Hurwitz de revêtement à ramification d'une droite projective). Le lien a démontré qu'il était très utile à bien des égards (exemple: l'application de la fonction tau isomonodromique mentionnée ci-haut à la réalisation géométrique explicite du diviseur d'Hurwitz sur les espaces de modules des courbes).

Les systèmes dynamiques semblent également jouer un rôle: par exemple, la dynamique des billiards plats est étroitement reliée au comportement du flot de Teichmuller sur les espaces de modules des différentielles abéliennes et quadratiques sur les courbes algébriques. La somme des exposants de Lyapunov pour ce dernier flot a l'interprétation d'un ratio pour deux nombres d'intersections (Kontsevich-Zorich) et les propriétés de la fonction tau sur les espaces de modules des différentielles peuvent aider à prouver la rationalité de ce ratio (Eskin-Kontsevich-Zorich, Chen, Korotkin-Zograf). Les travaux remarquables de Mirzakhani donnent un exemple d'un type contraire. Du comportement du flot géodésique hyperbolique elle a extrait les contraintes Virasoro pour les volumes Weil-Petersson des espaces de modules de surfaces riemmaniennes avec bord ce qui, en particulier, implique la conjecture de Witten.

La théorie des systèmes intégrables semble être au coeur du sujet, offrant ainsi un lien thématique. Il est néanmoins juste de dire que la façon avec laquelle cela se produit est encore mal comprise. En effet, jusqu'à present, il s'agit plutôt des outils, des machines à calculer et des fonctions en tant qu'elles apparaissent, que de flots et de lois de conservation. Espérons que les développements récents de la physique, de la théorie de la gravité quantique, aideront à déveloper une meilleure compréhension.

Parmi les participants, on retrouvera un échantillon de physiciens théoriques, de physiciens mathématiques, de géomètres et d'experts en matrices aléatoires. On souhaite que les interactions mettront en lumière ce casse-tête de longue date au coeur de très belles mathématiques.